Rencontre. Le groupe neuchâtelois Murmures Barbares fait partie des premiers bénéficiaires du programme d’aide aux artistes émergents Opération Iceberg.
A l’origine était le collectif hip-hop Michigang, principalement actif dans la musique, tout en se permettant des incursions dans d’autres champs artistiques, comme la photographie. Créé en 2008 à Neuchâtel et réunissant des beatmakers, des rapeurs et des DJ, le Michigang, qui fourmille d’idées et de projets, se fait rapidement un nom sur la scène locale.
«Petit à petit, les projets individuels se sont multipliés, raconte le compositeur Hook, membre fondateur du collectif. C’est ainsi que le rapeur Idal a émis l’envie de réaliser un album solo, avant de me proposer de collaborer avec lui. Comme l’alchimie était bonne, que ça marchait bien, on a continué.» Après trois ans de travail, les deux Neuchâtelois sortent un album qu’ils intitulent Murmures Barbares. Ce qui ne devait être qu’un projet parallèle prend alors vite de l’importance. Ils présentent quelques-uns de leurs morceaux dans le cadre d’une performance du Michigang à Festi’Neuch, puis décident, pour leurs concerts à venir, de s’entourer de deux autres piliers du collectif, le DJ Wark et le producteur FlexFab. «Je m’occupe des scratchs et lance des samples», dit le premier, tandis que le second explique bidouiller la musique. Murmures Barbares n’est plus le nom d’un album de Hook et Idal, mais devient un groupe à part entière. Réunis dans un café lausannois, les quatre potes mesurent non sans fierté le chemin parcouru. Ils ont de quoi: on exagère à peine en disant qu’ils incarnent le renouveau du rap romand.
Le goût de la métaphore
Tout en revendiquant leurs racines hip-hop et leur passion commune pour les cultures urbaines – le rapeur américain El-P est une influence qu’ils citent de concert –, les Romands proposent une musique qui va beaucoup plus loin. «On n’est pas des puristes du rap, loin de là», souligne d’ailleurs Wark. Le DJ avoue avoir beaucoup écouté de rock, d’Offspring à Alain Bashung, tandis qu’Idal admet un penchant pour Bob Marley. Il y a indéniablement, dans les compositions de Murmures Barbares, une démarche que l’on peut qualifier de rock, voire de punk pour le côté rentre-dedans. Leurs arrangements sont denses et organiques là où le rap est parfois sec et peu généreux en matière de beats. Le tout porté par des textes qui préfèrent la métaphore et l’approche littéraire à la rime facile et au slogan bas du front. Loin de tout formatage, Murmures Barbares prouve que les frontières entre les styles sont poreuses, et propose une musique qui ne ressemble à rien de connu. A l’heure où plus grand-chose n’est à inventer, où tout est affaire de recyclage et de réappropriation, une telle fraîcheur force le respect.
La démarche du groupe a été qualifiée de poésie rap, mais Idal avoue se méfier de cette étiquette, du côté cérébral qu’elle induit. Il souhaite que, au-delà des mots et de leur sens, ses textes fassent corps avec la musique. «Mais je n’arrive néanmoins pas à écrire sans essayer de dégager une idée, de retranscrire un concept. C’est difficile d’utiliser des mots uniquement pour faire de la musique. En anglais, tu peux exploiter des tournures de phrase qui sonnent bien mais ne veulent rien dire. Le français est une langue plus complexe. Après, que mes textes soient métaphoriques ou qu’on ne comprenne pas tout à la première écoute, ça ne me dérange pas, bien au contraire.»
Une culture de l’ombre
FlexFab voit aussi cela comme un avantage. N’appartenir à aucun mouvement, n’avoir aucune étiquette, alors que beaucoup de groupes sont labellisés politiques ou gangsters, par exemple, permet à Murmures Barbares de faire beaucoup de scène, estimet-il. Le groupe casse en outre cette image de «bad boys» qui colle encore trop souvent aux rapeurs.
Idal sourit: «Pendant longtemps, lorsqu’on me demandait ce que je faisais, il y avait ce petit moment désagréable où, face à ceux qui n’écoutent pas de rap, je devais me justifier et aller contre les stéréotypes. T’écoutes du rap, donc t’es misogyne, qu’est-ce qui ne va pas chez toi? Du coup, pendant longtemps, on expliquait qu’on faisait du rap un peu bizarre, différent. Mais maintenant, je dis simplement rap. Reste que, même si elle est née il y a plus de trente ans, la culture hip-hop a de la peine à ne pas rester marginale. C’est dans l’ombre que l’on trouve les groupes les plus intéressants, tant au niveau de la musique que des textes. Les médias mettent souvent en avant des types qui véhiculent une image négative car les gens aiment, dans le fond, bien ça. Ils ont l’impression de s’encanailler, de se faire peur.»
Ateliers, formations et concerts
Quelques mois après la sortie son premier album, Murmures Barbares se retrouve sélectionné, sur proposition du club neuchâtelois La Case à Chocs, au programme transfrontalier d’aide aux artistes émergents Opération Iceberg, élaboré par la FCMA (Fondation romande pour la chanson et les musiques actuelles) et Les Eurockéennes de Belfort. Une aubaine.
«On n’avait jamais entendu parler de cette opération avant qu’ils nous demandent si on était intéressés. Et on a tout de suite dit oui», se souvient Hook. On les comprend. En plus de bénéficier d’un accompagnement professionnel sous forme d’ateliers, de résidences et de concerts, les dix artistes romands et français retenus sont rémunérés. Une manière de reconnaître leur travail et de leur offrir les outils nécessaires à une possible professionnalisation.
Retour en studio
Pour Murmures Barbares, tout a commencé en novembre 2013 avec une résidence, à Besançon, encadrée par le compositeur et bassiste Côme Aguiar (Silmarils, Oxmo Puccino). «Durant trois jours, il nous a aidés à améliorer notre live afin que l’on soit plus efficaces, explique Hook. Il nous a apporté beaucoup sur le plan sonore.» Prochainement, les Neuchâtelois vont collaborer avec Chapelier Fou, un musicien électro français qui leur parlera notamment de son rapport aux ordinateurs.
Cet été, c’est au Paléo de Nyon que les Romands ont pu se tester face à un public qui ne les connaissait pas forcément. Une expérience formatrice, malgré un concert donné en fin d’après-midi. «Alors que je qualifierais plutôt notre musique de nocturne», sourit Hook, en expliquant qu’après une sortie imminente de l’album Murmures Barbares en vinyle le groupe devrait repartir en studio l’année prochaine. Pour lancer à quatre les premières bases d’un nouvel enregistrement que l’on attend déjà avec une impatience non feinte.
En concert le 15 nov. à Bulle (Ebullition, avec Doctor Flake), le 23 nov. à Lausanne (Le Romandie, avec Kate Tempest), le 24 jan. 2015 à Porrentruy (Les Sauvageries) et le 6 fév. 2015 à Montreux (Decal’Quai, avec Koqa Beatbox).
murmuresbarbares.bandcamp.com/operation-iceberg.eu
Les pionniers du rap
Sens Unik. C’est à la fin des années 80, du côté de Renens, que deux amis qui se font appeler MC Carlos et Just One décident de se lancer dans le rap alors que l’époque est résolument rock. Le premier est chanteur, le second DJ et programmateur. Ils fondent Sens Unik en 199o, un geste qui devient l’acte de naissance du rap made in Switzerland.
Double Pact. Le duo émerge au milieu des années 90 et se distingue notamment sur une compilation du DJ français Cut Killer. Sur une base sonore élaborée par le beatmaker Yvan Peacemaker, Stress propose des textes qui en font le rapeur d’une génération, avant qu’il devienne, en solo, la première véritable star de la scène hip-hop suisse.
Black Tiger. Apparu en 1991, le Bâlois est considéré comme le premier rapeur alémanique à avoir osé s’exprimer dans sa langue. Alors que le français s’est rapidement imposé sur la scène hip-hop, l’allemand, et a fortiori le dialecte, a eu plus de peine à devenir une langue musicale. La scène alémanique est désormais en pleine ébullition.