Rencontre. Installé dans une ancienne église de Saint-Imier, le Jurassien d’adoption publie à compte d’auteur des bandes dessinées qui se sont déjà écoulées à quelque 110 000 exemplaires.
Une fois passé la porte de son atelier, on se retrouve… on ne sait trop où. Il y a un côté jungle, avec toutes ces plantes vertes qui semblent surgir d’un peu partout, mais aussi une dimension entrepôt avec ces piles de cartons débordant de bandes dessinées. Au milieu de ce joyeux capharnaüm, il y a des bureaux. Le sien, et celui de ses collaborateurs. Bienvenue chez Alain Auderset, un dessinateur haut en couleur, ça tombe bien, installé dans une ancienne église de Saint-Imier.
Voilà vingt ans que ce fringant quadragénaire, né en 1968 à Granges, d’un père fribourgeois et d’une mère espagnole, est actif dans la BD. A l’heure où sort son huitième album, le troisième mettant en scène Marcel, ce personnage un brin naïf qu’il utilise de manière totalement malléable d’un strip et d’un gag à l’autre, il avoue avoir écoulé quelque 110 000 ouvrages. Un exploit lorsqu’on sait qu’il travaille de manière totalement indépendante, sans le soutien d’une maison d’édition ni d’un diffuseur. Mais il peut compter sur une aide morale de poids: Dieu. Alain Auderset est un fervent croyant, qui tire de sa foi à toute épreuve la force de constamment aller de l’avant. «Depuis que Dieu s’est pointé, ma vie a changé», dit-il le plus naturellement du monde.
A travers ses BD, le dessinateur espère faire rire, mais aussi réfléchir. Sa plus grande joie, c’est recevoir du courrier de lecteurs lui expliquant que, d’une certaine manière, il les a aidés. Il attrape une feuille blanche, dessine un petit rond noir et nous lance: «Tu vois quoi? Un point noir? Donc tu ne vois pas le blanc tout autour? Cela montre que l’on a trop tendance à se focaliser sur un problème alors que plein de choses vont bien. Si, dans mes livres, j’arrive à livrer des petites recettes pour être heureux tout en étant drôle, bingo!»
Questionner les certitudes
Si la dimension chrétienne de son travail n’est pas prépondérante, l’idée d’un être supérieur faisant office de guide traverse néanmoins en filigrane les albums du Jurassien d’adoption, qui sont aujourd’hui traduits en plusieurs langues, chinois compris. «Je m’adresse aussi à des gens qui n’en ont rien à carrer de la foi», rétorque-t-il quand on le provoque gentiment en lui sortant l’étiquette de BD chrétienne, qu’il n’apprécie pas trop. «Ce que j’aime avant tout, c’est remettre en question les certitudes, déstabiliser. Disons que j’essaie de véhiculer une sorte de sagesse, mais sans être moraliste. En même temps, mon livre qui s’est le mieux vendu, le tome 1 d’Idées reçues, est celui qui est le plus direct sur les questions liées à la foi.»
La foi, le dessinateur se souvient exactement du moment où elle lui est apparue comme une évidence. Il a 15 ans. Lors d’un ramassage de vieux papiers, il tombe sur une pile de Tournesol, un magazine chrétien de BD. «Ça m’a bouleversé et, de retour chez moi, j’ai essayé de parler à Dieu.» Alain Auderset demande dans la foulée pardon aux gens auxquels il a fait du mal, et se dit que, dorénavant, tout est possible, comme devenir dessinateur. Très sérieusement, il explique que Dieu est une source quotidienne de bonheur. Mais il nuance: «Quand je dis Dieu, je ne dis pas religion. Je parle plutôt d’une force, d’un ami.»
On le chambre un peu en lui parlant du manque d’ouverture de certains courants religieux. Il botte en touche: «Moi, je suis l’enseignement de Jésus. On pense que je suis évangéliste, mais ce n’est pas le cas. Pourtant, je m’entends bien avec eux. Le week-end dernier, j’étais à Fribourg chez les catholiques. Je dirai simplement qu’il y a partout des gens extraordinaires et des cons. Je me fous de comment les gens s’appellent, et je ne me réclame d’aucune Eglise.» On tente une autre approche: comment garder une foi et un optimisme inébranlables malgré les crises – identitaires, économiques ou politiques – qui agitent le monde? «Je parle à Dieu. C’est gratuit et à la disposition de tout le monde. Face aux choses terribles de la vie, je me dis qu’il y a un plan, et que quelque chose de meilleur suivra.» Chacun aurait donc un destin tout tracé? «Disons que je crois que le Créateur a un plan pour chacun, mais qu’on est libre de le suivre ou non.»
Discuter avec Alain Auderset, c’est un peu comme refaire le monde avec un vieil ami, même si on le connaît depuis une heure. On passe d’un sujet à un autre tout en se marrant franchement. Grand amateur d’impro, il s’est lancé il y a quelques années dans le one man show, et cela se sent. Reste qu’au final, il n’est pas facile à cerner. Tant pour le libre penseur que pour le croyant, il peut avoir des allures d’illuminé. Mais, dans le fond, c’est sûrement cela qui le rend si sympathique.
