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Exposer, s’exposer

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Jeudi, 9 Octobre, 2014 - 05:58

Vandalisme. «Genève, villes et champs», Bex & Arts ou le festival Images de Vevey ont dû composer avec la dégradation volontaire de plusieurs de leurs installations. Avec parfois des issues surprenantes.

Il a été crevéà coups de couteaux et sa pompe détruite. Réparé, regonflé, il a tenu quelques semaines sur ses pattes. Puis une nuit, juste avant que Genève, villes et champs ne ferme ses portes le 4 octobre, il a été une fois encore massacré. Le grand bélier gonflable, symbole de la première édition de cette manifestation paysagère, n’a visiblement pas plu à tout le monde. Installée dans un champ de Bernex, l’œuvre monumentale symbolisait la résistance de la campagne face aux inexorables avancées de la ville. Mais le message n’a pas été compris. Ou il a été mal interprété, par exemple comme une preuve de l’arrogance des «intellos» qui peuplent la grande ville.

«Cet acharnement montre en tout cas que le symbole était fort, se console Monique Keller, commissaire de Genève, villes et champs. C’est le signe d’une grande frustration et d’un manque de communication. Ce sont des enjeux qui méritent d’être débattus, ce qui était précisément le but de notre manifestation.» Laquelle a aussi connu l’incendie volontaire d’un volumineux château de paille sur la coulée verte de Bernex (60 000 francs de dégâts), l’arrachage de plants de houblon à Confignon et la destruction de cagettes à Onex.

Un art difficile

Autant dire que l’art de l’exposition en plein air, dans l’espace public, et sur une durée de plusieurs semaines ou mois, est difficile. Beaucoup plus que dans les musées, les œuvres y sont vulnérables aux gestes imbéciles. Que l’exposition soit organisée sur une propriété privée ne lui donne pas de protection particulière. A peine la triennale Bex & Arts était ouverte en juin que l’une de ses installations, Le résident d’Alain Huck, était vandalisée. Le Planetarium de Christian Waldvogel a aussi pris un mauvais coup. «Comme sa réalisation technique était compliquée, nous avons décidé de ne pas le réparer, note Noémie Enz, l’une des curatrices de la manifestation artistique en plein air. De plus, la dégradation ne gênait pas la lecture de l’œuvre.» Vandale à sa manière, l’été pourri n’a pas non plus soutenu l’édition 2014 de Bex & Arts, causant quelques courts-circuits malvenus. Il a en revanche aidé la croissance des végétations d’un autre festival paysager, Lausanne Jardins. «Cela a signifié autant d’arrosages en moins, sourit Christophe Ponceau, l’un des commissaires de l’événement. Des installations ont vraiment bien prospéré et sont encore magnifiques avec leurs teintes d’automne. A part les fleurs de la place Chauderon, nous avons eu peu de dégradations. Ce qui montre à quel point Lausanne Jardins est désormais bien compris. Pour avoir participé à beaucoup de manifestations en extérieur, je sais que ce respect est rare.» Et si la pelouse verticale de la fontaine à la rue Neuve a disparu au milieu de l’été, c’est que la boutique située juste derrière a changé de propriétaire à ce moment-là. Les nouveaux gérants n’entendaient pas voir leur devanture obstruée par une épaisse couverture verte, même vivante.

Un naufrage ironique

Allez parler des éléments naturels à Stefano Stoll, le directeur du festival Images de Vevey, qui vient de se terminer avec un record de fréquentation. L’artiste japonais Yuji Hamada avait disposé ses grandes photos de montagnes sur des flotteurs, à quelques mètres du quai Maria-Belgia. Mais la houle a emporté les cinq installations flottantes, en coulant même une par le fond. Elles ont été ramenées sur la berge, où l’une d’entre elles a été prestement lacérée. Plutôt que de se plaindre des aléas lacustres, Stefano Stoll préfère souligner l’ironie de ce naufrage. Yuji Hamada, marqué par le raz de marée qui a causé la catastrophe de Fukushima, a un jour reçu de Suisse une carte postale figurant des montagnes immaculées. Voulant rendre hommage à cette nature parfaite, il a réalisé ses propres petites montagnes dans son studio, les a photographiées puis les a envoyées au festival veveysan. Où elles ont été endommagées par les forces de la nature…

«Nous connaissons plusieurs types de vandalisme, précise Stefano Stoll. L’un est réactif, peut-être le fait d’artistes locaux. L’un d’entre eux a cloué une œuvre sur un cinéma provisoire avant de la retirer lui-même. Une autre personne a bombé une grande photographie avec une inscription qui interrogeait le sens de notre manifestation. Après avoir consulté l’artiste auteur de la photo et le syndic de la ville, nous avons décidé de laisser cette œuvre maculée en place. Même s’il y avait préjudice, l’inscription n’était pas idiote. Elle s’intégrait en quelque sorte à l’événement.»

Parfois, c’est le sort qui joue de mauvais tours aux organisateurs. A Vevey, les photos des graffitis du métro new-yorkais prises par Martha Cooper ont été collées dans un passage sous voie de la gare CFF. Personne, au festival Images, n’avait prévu que les autorités, énervées par les graffeurs locaux qui s’en donnent à cœur joie dans le passage, allaient en couvrir les murs avec un vernis anti-graffitis. Les photos se sont donc rapidement décollées, à la grande joie de passants qui les ont embarquées chez eux. En arrivant à Vevey, la photographe américaine est entrée dans une colère noire en apprenant que quelques-unes de ses images manquaient à l’appel. Lorsqu’elle a compris ce qui se jouait dans le passage, ses propres graffitis disparaissant à cause d’autres graffitis, elle a laissé éclater sa joie: «Ce qui appartient à la rue doit retourner à la rue!»

Houblon gagnant

Comme toutes les dégradations ne trouvent pas pareil épilogue, le festival Images recourt désormais à quatre spécialistes de la maintenance qui veillent en permanence sur l’intégrité des œuvres, du réglage des vidéos à la remise en place de socles malmenés par des fêtards, la nuit venue.

Ces dégâts n’ont heureusement pas eu d’influence néfaste sur le succès des manifestations citées. Au bout du lac, Monique Keller se réjouit de l’enthousiasme des plus jeunes, nombreux et intéressés par le dialogue ville-campagne amorcé par Genève, villes et champs. Et de la reprise de plusieurs installations par les communes avoisinantes ou des particuliers. Comme ce vigneron qui, après avoir vu la houblonnière-microbrasserie de Confignon, voudrait maintenant relancer la culture de la plante à bière en Suisse…

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Luc Debraine
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