Le Festival de Locarno remet un Léopard d’honneur au réalisateur allemand, connu pour une œuvre remettant en question les rapports entre fiction et réalité.
Des Indiens machiguengas, aux ordres d’un aventurier et entrepreneur possédé rêvant de construire un opéra au cœur de l’Amazonie, hissent au-dessus d’une colline un bateau de plus de trente tonnes. Extraite de Fitzcarraldo (1982), la séquence est forte, fameuse, emblématique du cinéma de Werner Herzog. Et de sa démarche. Réalisée sans trucage, elle a failli couler ce projet totalement fou que plus personne, aujourd’hui, n’accepterait de financer.
Mais Herzog n’y aurait renoncé pour rien au monde, malgré un tournage dans une forêt tropicale hostile, à 1400 kilomètres du village le plus proche, et sous des pluies dantesques. Sur ce tournage, comme sur beaucoup d’autres, le Bavarois s’est mis physiquement en danger, tout en faisant courir de vrais risques à son équipe dans le but de capter des images de fiction sublimées par une approche documentaire.
Premières mondiales. Fiction contre réel, vrai et faux, la distinction n’existe pas dans le cinéma de Herzog. Lorsque dans ses documentaires il écrit des dialogues qu’il soumet aux personnes filmées (par exemple dans Au pays du silence et de l’obscurité, 1971), ou qu’il engage des ivrognes pour jouer le rôle de pèlerins à la recherche d’une cité engloutie (Les cloches des profondeurs, 1993), c’est pour obtenir un degré de vérité plus intense, dit-il. De même, lorsqu’il intègre dans le montage final d’Aguirre, la colère de Dieu (1972) des incidents survenus sur le plateau, comme la chute d’une cage ou d’un canon du haut d’une falaise, c’est pour souligner qu’il est impossible de totalement maîtriser une fiction.
Le Festival du film de Locarno projette jusqu’au 17 août quatorze films tournés par Herzog entre 1970 et 2013. Des fictions comme des documentaires, des productions allemandes aussi bien qu’américaines, tel le thriller Dans l’œil d’un tueur (2009) avec Willem Dafoe, inédit dans les salles romandes, à l’image de la plupart de ses réalisations depuis plus de vingt ans. L’occasion de découvrir sur grand écran des longs métrages méconnus (Les nains aussi ont commencé petits, 1970, Le pays où rêvent les fourmis vertes, 1984); de revoir trois des cinq films dans lesquels il a dirigé Klaus Kinski (Fitzcarraldo; Aguirre; Nosferatu, fantôme de la nuit, 1979), acteur aussi fou que les personnages qu’il a interprétés; et enfin d’assister aux premières mondiales des quatre derniers épisodes de la série On Death Row, sur des prisonniers américains en attente de leur exécution.
Nature humaine. Fer de lance dans les années 70, aux côtés de Fassbinder et de Wenders, du nouveau cinéma allemand, Herzog se prend très vite de passion pour les territoires sauvages. Né à Munich en 1942, il grandit dans une vallée reculée des Alpes bavaroises où sa famille se réfugie afin de fuir les tumultes de la guerre. Il aurait voulu devenir champion de saut à ski, mais le terrible accident dont est victime un de ses camarades le poussera à préférer le cinéma.
En 1971, il tourne le documentaire Fata Morgana dans le désert du Sahara. Il ne cessera dès lors de se rendre dans des lieux reculés, inaccessibles, et de s’intéresser à des personnages hors normes. Il sera par exemple l’un des premiers cinéastes européens, si ce n’est le premier, à s’intéresser au sort des aborigènes d’Australie (la fiction Le pays où rêvent les fourmis vertes), tandis qu’il met en scène dans ses documentaires The White Diamond (2004) et Grizzly Man (2005), également montrés à Locarno, un scientifique anglais rêvant de survoler à l’aide d’un ballon une forêt inexplorée du Guyana, et l’Américain Timothy Treadwell, dont la passion pour les ours le poussera à prendre des risques inconsidérés, jusqu’à se faire dévorer.
Le cinéma de Werner Herzog est impossible à résumer en quelques lignes, tant il est protéiforme et pose des questions essentielles sur l’essence même de l’acte cinématographique. «Ce qui m’a toujours animé, c’est de chercher ce qui constitue l’essence de la nature humaine», résumait-il dans Le Monde il y a quelques mois.
Festival du film de Locarno, jusqu’au 17 août. Remise du Léopard d’honneur à Werner Herzog sur la Piazza Grande, le vendredi 16 août à 21 h 30. Masterclass publique le jeudi 15 à 16 h 15. www.pardo.ch



