Chorégraphie. La compagnie Alias fête ses 20 ans avec une création organique et sensuelle, «Antes». Et entame une ambitieuse tournée romande de quatre spectacles mettant en scène 17 danseurs.
Les corps, pour lui, sont un paysage. Dans son dernier spectacle, Antes, le chorégraphe Guilherme Botelho a voulu que ses douze danseurs deviennent des arbres. Allongés, ils contractent leurs muscles; des mouvements infimes qui les transforment en plantes. On n’en attendait pas moins de lui. Dans sa précédente pièce, Jetuilnousvousils (2011), il en avait fait un banc de poissons. Une meute. Dans la précédente encore, la spectaculaire Sideways Rain (2000), les corps en mouvement devenaient rivière.
Nudité éloquente
Antes vient clore une trilogie, Distancia, et couronner vingt ans de création. On a rarement vu les corps humains sous cet angle. Ils en deviendraient presque extraterrestres. Symboles d’une vie végétative, ils gagneront peu à peu, au fur et à mesure de la pièce, la position verticale. Simplement debout, mais dans une tension et un dynamisme rares, les douze danseurs sont comme des roseaux balayés par le vent. «Je voulais parler de l’homme avant qu’il soit devenu social», explique le chorégraphe, fondateur de la compagnie Alias à Genève.
L’art de Guilherme Botelho, c’est à la fois une abstraction et une grande sensualité. Rien de narratif chez lui, pas de «personnage», juste des corps envisagés comme des lignes graphiques, un matériau vivant.
Les danseurs sont nus. Pas par effet de mode, mais parce que la nudité s’oppose à l’uniforme. «Rien n’est plus social que les vêtements. Le meilleur costume, pour parler de l’homme archaïque, c’est la nudité.» Et parce que la présence de corps est devenue très éloquente dans une société qui les érotise de façon hystérique, mais a peur de la simple nudité.
L’eau et les rêves
Si Guilherme Botelho a voulu créer sa compagnie en 1994, après près de sept ans passés au Grand Théâtre de Genève, c’était pour danser «autrement». Faire du danseur un interprète, un créateur à part entière, pas seulement un exécutant. «Je voulais que sa personnalité transpire sur scène.» Et pour dire, par le mouvement, ce qui, de nos vies, demeure caché. Le sous-texte du monde. «Les corps disent tout, révèlent tout de nous, ils crient, mais on ne sait plus lire ce langage», explique ce fils d’une psychanalyste, l’œil liquide au moment d’évoquer sa famille. C’est le dynamisme des relations humaines qui le fascine. «Dans la trilogie, le spectateur est confronté à sa propre humanité, et avec ce qu’il a en commun avec le reste du monde.»
Pour s’inspirer, il a regardé des paysages. Des montagnes. Et il s’est souvenu également des marées humaines de sa ville natale, São Paulo. Il y a beaucoup d’eau dans les 20 spectacles qu’il a montés. Dès 1995, dans Moving a Perhaps, on se souvient de gerbes liquides ruinant le décor d’une maison bourgeoise. L’inconscient qu’on avait cherché à museler jaillissait de tous les côtés. Pourtant, depuis son arrivée à Genève en 1982, l’océan ne lui manque plus. L’artiste de 52 ans s’accommode du Léman. «L’océan me rappelle que je suis vivant; le lac, lui, que j’ai une vie intérieure. C’est moi qui le pénètre. Alors que l’océan, c’est lui qui s’impose.» Le Léman, méditatif, le laisse rêveur. Pas mélancolique pour autant. Car le corps n’est pas encore «perdu». A nous de renouer avec lui. La société de plus en plus virtuelle dans laquelle nous vivons a plus que jamais besoin de corps qui parlent d’eux-mêmes, de danse contemporaine. «Le corps aujourd’hui est traité de manière fonctionnelle, dans l’efficacité. C’est le corps imposé, la beauté uniformisée. Moi, j’aimerais le traiter comme une matière, dans sa simple présence.»
Tour romand
Pour ses 20 ans, Alias voit grand. La trilogie Distancia (Antes, Jetuilnousvousils et Sideways Rain) ainsi qu’un autre spectacle, Le poids des éponges (reprise de 2003), seront visibles en Suisse romande. Antes sera créé les 27, 28 et 30 octobre au Théâtre Forum Meyrin-Genève, puis rejoindra le 5 novembre le Théâtre du Crochetan à Monthey et, le 12 novembre, le Théâtre du Passage à Neuchâtel. Jetuilnousvousils sera présenté à Meyrin et Monthey. Sideways rain à Meyrin, Monthey, Neuchâtel et Fribourg. Le poids des éponges passera, lui, par Vevey, Mézières, Morges et Bienne. www.alias-cie.ch