Fratrie. L’an dernier, le Romand d’adoption David Bosc1 créait la surprise en s’invitant sur les listes Goncourt et Renaudot avec «La claire fontaine». Cette année, son frère Adrien Bosc2 crée la surprise avec «Constellation», en lice pour le Goncourt, le Renaudot et le Grand Prix de l’Académie française. Gène familial?
Isabelle Falconnier et Luc Debraine
L’an dernier, David Bosc, 41 ans, né en Provence mais installé à Lausanne depuis huit ans, éditeur au sein de la maison Noir sur Blanc, traducteur, visage fin et yeux clairs, créait la surprise en figurant sur les premières listes des prix Décembre, Jean Giono et surtout Goncourt. Au final, son roman La claire fontaine (Editions Verdier) remportait une belle notoriété, les prix Thyde Monnier, Marcel Aymé et le Prix suisse de littérature. Cette année, c’est un autre Bosc, mêmes visage fin et yeux clairs, prénommé Adrien, 28 ans, qui déboule en révélation, figurant sur les sélections des prix de Flore, Renaudot et surtout Goncourt, pour un premier roman intitulé Constellation (Editions Stock). Un autre Bosc, fondateur des Editions du Sous-Sol et des revues Feuilleton et Desports, qui vient déjà de remporter le Prix littéraire de la vocation de la Fondation Marcel Bleustein-Blanchet et qui n’est autre que… le frère de David.
Deux sélections Goncourt en deux ans dans la même famille, pas banal pour deux outsiders du monde littéraire, deux inconnus des coteries autorisées du landerneau germanopratin. Signe du destin? Gène littéraire? «L’anecdote des deux frères est assez drôle, sourit Adrien Bosc, mais pas de gène littéraire. Sinon, une belle bibliothèque, et deux parents lecteurs!»
Si La claire fontaine suivait les dernières années de la vie du peintre Gustave Courbet à La Tour-de-Peilz, Constellation retrace les destins – les reliant «comme autant d’étoiles d’une constellation» – de quelques-unes des victimes anonymes ou fameuses de l’avion d’Air France crashé aux Açores en octobre 1949, dont le boxeur Marcel Cerdan, grand amour d’Edith Piaf. Les deux romans convergent l’un vers l’autre par leur forme a priori documentaire, leur brièveté et une ambition littéraire qui tend à une poétique du fait réel. Mais l’écriture du premier progresse à l’économie, sans effet, alors que le style du second est beaucoup plus riche, presque à l’excès. Récit factuel, basé sur une quantité de documents, La claire fontaine montrait la vitalité et l’esprit civique d’un monstre de l’art pourtant en exil, malade et excessif. Le tour de force de Constellation est de transcender les faits par une émotion sobre, une forme narrative en fragments et une réflexion sur le destin. «Pas de parenté dans le style, confirme Adrien Bosc, mais des correspondances lointaines. C’est agréable de constater que nos livres diffèrent.»
Adrien, de treize ans le cadet de David, a sa petite explication quant au phénomène Bosc: «Du moins pour ce qui est de notre goût des lettres: la relation épistolaire qu’entretenait notre grand-mère paternelle avec chacun de ses petits-enfants (pour autant qu’ils y répondissent). Des années durant, et le plaisir d’attendre, de lui écrire, de la lire.» Le rôle du grand frère? «David, en grand frère bienveillant, m’a nourri de lectures, avec parcimonie mais tant de discernement! Chaque année un conseil, un cadeau: Rhum de Cendrars, La pornographie de Gombrowicz ou encore Le livre de Monelle de Marcel Schwob. Il y a dans les fratries ces grands frères devanciers qui déblaient le terrain, jamais avares de conseils. Un autre frère, l’aîné, Alexandre, travaillait sur Walter Benjamin ou André Malraux.» Ils se parlent peu de leurs écrits sinon quand ils sont achevés. «Je suis admiratif de ses romans, Sang lié, Milo (Editions Allia) et évidemment La claire fontaine.» Pour David, une seule certitude: «J’ai eu ma part. Place à Adrien, maintenant.»
«Constellation». D’Adrien Bosc. Ed. Stock, 160 p.