Portrait. La chanteuse nigériane sort un troisième album qui provoque, d’un titre à l’autre, d’intenses émotions. C’est une artiste immense et généreuse, à écouter de toute urgence.
Ses chansons en disent beaucoup sur notre mélancolie, nos rêves, nos pensées et nos réflexions. En résumé, elles résonnent en nous de manière profonde et viscérale, fonctionnent comme une catharsis. Voilà du moins pour le message que veut faire passer la maison de disques d’Asa. Franchement, à l’heure où U2 impose son nouvel album de manière péremptoire, via Apple, à des centaines de millions d’utilisateurs de la plus connue des plateformes numériques, on préfère cette promesse. Dès les quelques notes de piano qui introduisent Dead Again, déchirante ballade ouvrant Bed of Stone, l’attendu troisième album de la chanteuse nigériane, on sait que le pari est gagné. Mélodie mélancolique, voix assurée mais pas exempte d’une légère fêlure, puis entrée en lice d’une batterie feutrée. Asa nous prend littéralement aux tripes avec ce morceau dans lequel elle évoque la trahison d’un ami proche.
«You pick up the knife, and you cut me in two, you stab me in the back, and then you twisted it in, you left me for dead again.» Tu m’as laissée pour morte de nouveau… On en est là, à la fois charmé et abattu, frissonnant, quand démarre le second titre, Eyo. Folk chaloupé, refrain solaire, mélodie empruntée au folklore nigérian. C’est à notre cœur qu’Asa s’adresse cette fois. Les tripes et le cœur, c’est là toute l’ambivalence de ce troisième album d’une des artistes les plus profondément attachantes apparues ces cinq dernières années. Il y a dans Bed of Stone du chaud et du froid, du cérébral et de l’émotionnel. On frémit quasiment à l’écoute de Satan Be Gone, entêtant folk vaudou sur lequel elle chante comme si elle était possédée, avant de totalement chavirer avec la chanson-titre Bed of Stone, d’une douceur à se damner. On s’y perdrait volontiers pour l’éternité.
Non, n’imaginez pas télécharger quelques titres, selon vos envies, de ce disque essentiel. Ecoutez-le en entier, du premier au dernier morceau. Il raconte une histoire, il passe d’une couleur à l’autre pour provoquer des émotions. Asa est une musicienne mais aussi une conteuse, elle est comme un griot sûr de ses effets. Après une longue tournée de deux ans, qui lui a permis de se produire un peu partout à travers le monde, mais lui a en même temps fait éprouver d’intenses sensations de solitude lorsque après les applaudissements vient le calme absolu d’une chambre d’hôtel impersonnelle, elle s’est totalement investie dans cet enregistrement. Bed of Stone est son disque le plus personnel, le plus vibrant. Le plus ambitieux aussi.
Folk africain et soul américaine
Née Bukola Elemide à Paris, il y a trente et un ans, Asa a grandi au Nigeria. De la vingtaine d’années qu’elle passera dans son pays d’origine avant de revenir en France, elle garde le souvenir d’une vie plutôt rude. Elle a trois frères et, en dehors de l’école, est confinée à la maison, où elle seconde sa mère. Son père, lui, est féru de musique. Elle se perd volontiers dès qu’elle en a l’occasion dans sa collection de disques. Elle écoute des artistes africains, le roi Fela Kuti, forcément, mais aussi la reine Miriam Makeba et la fée Angélique Kidjo. Puis c’est le choc, à la découverte de la soul américaine, Diana Ross, Aretha Franklin, Nina Simone. Elle sera chanteuse, elle le sait. Son volontarisme fera le reste. Asa s’est façonné un univers bien à elle, inutile de chercher à la comparer. C’est désormais les autres que l’on compare à elle.
«Bed of Stone». D’Asa. Naïve/Musikvertrieb. En concert le 4 mars 2015 à Zurich (Kaufleuten) et le 5 à Lausanne (Les Docks).