Rencontre. Le New-Yorkais Boris Fishman publie avec «Une vie d’emprunt» une histoire tragicomique à cheval entre ses deux cultures juive russe et américaine.
C’est l’histoire d’un New-Yorkais de 35 ans né de parents juifs russes émigrés lorsqu’il était enfant, bouleversé lorsqu’il a entendu le récit de sa grand-mère, survivante des persécutions nazies, qui raconte l’histoire d’un New-Yorkais né de parents juifs russes émigrés qui commet la fraude la plus justifiée de l’histoire en falsifiant une histoire de survivant de l’Holocauste pour son grand-père.
Boris Fishman, né à Minsk en 1979, arrivé aux Etats-Unis en 1988, journaliste remarqué dans le New Yorker ou le New York Times, publie avec Une vie d’emprunt un premier roman inspiré de son expérience familiale absolument remarquable, à la fois drôle et poignant, d’une intelligence tragicomique hors du commun, à la langue mêlant le burlesque terre à terre de l’américain au lyrisme du russe, réflexion provocante et nécessaire sur l’identité, l’immigration, la justice historique, la loyauté et l’héritage familial.
Loyauté familiale
La genèse du livre commence en 1993, lorsque sa grand-mère reçoit un formulaire de demande de dédommagement pour les victimes de l’Holocauste. Comme depuis l’arrivée de sa famille en Amérique il est devenu l’adulte de la famille, on lui demande, malgré ses 14 ans, de remplir ledit formulaire. Il commence par interroger longuement son aïeule. «J’ai été surpris, tant par son histoire, que je n’avais jamais entendue, que par le processus. J’aurais pu inventer n’importe quoi, personne ne demandait de preuves, car il n’y avait plus de preuves.» L’histoire d’Une vie d’emprunt, qui raconte comment, par loyauté familiale, un jeune homme invente des témoignages de survivants de l’Holocauste alors qu’il tente d’échapper à l’emprise de sa communauté d’origine, le hante ainsi depuis vingt ans. Il en tire une nouvelle en 2005, puis un roman, commencé en 2009. Sa mère lui a déclaré en le lisant: «J’ai enfin compris que tu étais différent de nous. Mais pourquoi veux-tu être différent?»
Boris Fishman, brun ténébreux au regard amusé et perçant, a «haï» de 9 à 19 ans le fait d’être Russe. Il se fait même appeler Bobby lorsque ses parents déménagent de Brooklyn dans le New Jersey. Et puis, en dernière année de lycée, il lit Crime et châtiment de Dostoïevski et Pères et fils de Tourgueniev. «J’ai compris alors tout ce que je reniais! Du coup, j’ai plongé dans la culture russe.» Il étudie la littérature slave à l’université, s’installe un temps à Moscou, qu’il déteste. «Je suis connecté à l’esprit russe, mais ce n’est plus mon pays. Désormais, je suis 100% Américain et 100% Russe, et ça me va très bien.»
Appel profond
Son nirvana, son pays imaginaire, son Neverland à lui, c’est le Montana, depuis qu’un jour, à 15 ans, il tombe en arrêt devant l’affiche de Légendes d’automne. «Ce Brad Pitt avait l’air si sûr de lui! Il était mon opposé exact et celui que je voulais être.» Il découvre le film, y voit des montagnes «pour la première fois». Deuxième choc. Troisième choc, décisif, en lisant le livre éponyme de Jim Harrison. «C’était le premier livre que ma famille achetait après six années en Amérique. On ne lisait pas, chez moi. En l’achetant, j’ai pensé que cela représentait cinq heures de ménages de ma grand-mère qui en vivotait...» Une nuit plus tard, il sait que son ambition dans la vie sera désormais d’écrire comme cet homme et d’aller au Montana. «C’était un appel profond.» Douze and plus tard, il ira au Montana et rencontrera Jim Harrison, qui lui servira de parrain d’écriture.
Dans Une vie d’emprunt, Slava tente de décrocher un poste dans une revue prestigieuse tout en tournant le dos à sa famille. «Slava tente de devenir Américain de manière artificielle. Il pense qu’il faut choisir, couper les ponts avec sa première culture. Or, c’est faux. On peut vivre dans deux cultures. En politique comme en amour ou dans la vie, rien n’est jamais noir ou blanc. La vérité est toujours au milieu.»
«Une vie d’emprunt». De Boris Fishman.
Buchet Chastel, 440 p.