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Bridget, le retour

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Mercredi, 17 Septembre, 2014 - 06:00

Récit. Dix-huit ans après «Le journal de Bridget Jones», carton planétaire consacré mythe féminin des années 90, Helen Fielding publie «Bridget Jones: folle de lui». Désormais quinqua et veuve, la célibataire au cœur d’artichaut, grand témoin de nos errements amoureux, n’a renoncé à rien.

Il en est des mythes comme des hommes: un jour ils naissent, simples personnages sous la plume d’écrivains, et dès le lendemain ils semblent nous contempler de leur Olympe depuis la nuit des temps. Frankenstein est né sous la plume de Mary Shelley, Don Juan sous celle de Tirso de Molina, Pinocchio sous celle de Carlo Collodi, le Petit Prince de l’imagination de Saint-Exupéry. Et en 1996, Helen Fielding créa... Bridget Jones. On ne l’avait pas vue venir. Les mythes féminins des années 90 s’appelaient Claudia Schiffer, Lara Croft, Virginie Despentes ou La Cicciolina. Bridget, son pot de Nutella sous la couette et sa culotte de grand-mère, allait tout faire exploser.

Moi d’abord

Helen Fielding est une journaliste anglaise habituée aux reportages pour la BBC lorsque The Independent lui propose une chronique hebdomadaire. Elle crée un personnage fictif, Bridget Jones, s’inspirant de ses propres journaux intimes de jeunesse pour la forme («Dimanche 8 janvier: 58 kg, unités alcool: 2, cigarettes: 7, calories: 3100»). La chronique plaît tant aux lecteurs que l’éditeur Picador en fait un livre l’an d’après, dont le succès ravageur donne naissance à un phénomène de société digne de Harry Potter ou de Cinquante nuances de Grey. Un deuxième livre (L’âge de raison) et deux adaptations sur grand écran portées par Renée Zellweger, Hugh Grant et Colin Firth plus tard, le bilan est insolent. Dans le monde de l’édition comme dans celui du féminisme, il y a un avant et un après Bridget.

La chaîne du livre lui dit merci: Bridget a fait vendre 50 millions de livres en une vingtaine de langues, provoquant un raz-de-marée d’imitations. Et a lancé le genre dit chick lit, vaste mouvement littéraire populaire consacré à des histoires de filles (du sentiment, du sexe, des prises de tête à propos des sentiments et du sexe) écrites par des filles, l’un des plus florissants du moment. Les lexicographes lui disent merci: Bridget a renouvelé le vocabulaire consacré aux célibataires et à la recherche de l’âme sœur. Son nom même se décline en nom commun autant qu’en adjectif. («That’s very Bridget Jones» ou «I pulled a Bridget Jones last night», ça marche en anglais comme en français.) Les socio­logues lui disent merci: Helen Fielding a typologisé la femme des années 90 et donné au tournant du millénaire l’icône qui lui manquait. Les féministes ne lui disent pas merci: cette antihéroïne qui est prête à échanger père et mère contre le Prince Charmant et préfère pleurer sur ses kilos en trop plutôt que sur les enfants du Sahel va à rebours de tous leurs combats. D’ailleurs, l’année de Bridget, le magazine Time s’est carrément affolé en titrant «Is Feminism Dead?»

Mais la réalité est toujours plus forte que l’idéologie et c’est bien parce que les lectrices, tel Flaubert s’appropriant Bovary, se sont toutes écriées «Bridget, c’est moi!» que Bridget est devenue Bridget. La célibataire est le grand témoin du paradoxe féminin contemporain, un pied dans le monde professionnel, les responsabilités et l’indépendance, l’autre dans le sentimentalisme, la dépendance amoureuse et la passivité la plus désuète. 

Jane Austen d’abord

Avec un réalisme et un anti-intellectualisme troublants, Helen alias Bridget dénonçait ce qu’on savait toutes sans se l’avouer: dans la vie, on ne contrôle rien, pas plus ses fringales que ses amours ou sa carrière. Le tout en mettant ses pas dans ceux de la plus grande satiriste de la société que l’Angleterre ait vu naître, Jane Austen – l’intrigue de son chef-d’œuvre Orgueil et Préjugés revient comme un leitmotiv dans l’œuvre de Helen Fielding. Bridget, en véritable double d’Elizabeth Bennet, est à la fois une Mademoiselle Tout-le-Monde et une fine observatrice de la même Mademoiselle-tout-le-monde, la regardant se débattre pour trouver, deux siècles après sa grande sœur, statut social, sécurité économique et satisfaction sentimentale dans une société qui n’en finit pas d’idéaliser le sexe tantôt Beau tantôt Faible. 

Et ça continue! Bridget Jones, tome 3, intitulé Folle de lui, a battu des records de vitesse de vente lors de sa sortie anglaise en octobre dernier. Crime de lèse-lecteur: Helen Fielding tue le parfait Mark Darcy pour faire de Bridget, désormais 51 ans, une veuve, mère de deux jeunes enfants, de retour sur le marché des célibataires. Du coup, c’est parti pour une belle aventure de cougar avec un jeunet de 29 ans. Bonne surprise: cette plongée dans l’amour au temps du tweet est pertinente, drôle et émouvante, meilleure que le deuxième tome des aventures de Bridget, L’âge de raison, qui la voyait chanter du Madonna dans une prison asiatique. Si elle est toujours obsédée par son poids, elle ne l’est plus par la cigarette mais par le nombre de tweets, reçus ou émis, et de followers, gagnés ou perdus. Scénariste, elle travaille à une adaptation de la pièce Hedda Gabler pour la télévision – encore un clin d’œil à une héroïne tragique de la trempe d’Elizabeth Bennet, désillusionnée tant par le mariage de raison que par la passion.

Bridget, 51 ans!? Ce qui semble une violation des lois naturelles de la fiction – comme si Harry Potter usait de ses pouvoirs magiques pour payer ses impôts – est de fait extrêmement efficace d’un point de vue narratif: son regard à la fois neuf mais expérimenté sur le célibat, sa découverte tardive du monde des rencontres en ligne, sa condition de mère solo en font un témoin privilégié des valeurs de notre époque, des attentes contradictoires des femmes et des idéaux qu’elles sont supposées atteindre. En donnant une suite à L’âge de raison, l’écrivaine remet en question le happy end (le mariage avec Mark) précédemment accordé à son héroïne: l’amour finit mal, en général, que Monsieur Mari trompe, quitte ou décède. Et tout est à refaire, à 51 ans comme à 33. Mamma mia.

«Bridget Jones. Folle de lui» 
De Helen Fielding. Albin Michel, 446 p. En librairie le 2 octobre.


Helen Fielding

1958 Naissance dans le Yorkshire, GB.
1994 Premier roman, Cause Celeb.
1995 Elle entame des chroniques dans le Guardian.
1996 Parution du Journal de Bridget Jones.
1999 L’âge de raison, suite des aventures de Bridget Jones.
2001 Le journal de Bridget Jones, adaptation à l’écran de Sharon Maguire avec Renée Zellweger, Hugh Grant, Colin Firth.
2004 Bridget Jones, l’âge de raison au cinéma, de Beeban Kidron, avec les mêmes. Parution de son 4e roman, Olivia Joules ou l’imagination hyperactive. Naissance de son fils Dashiell.
2006 Naissance de sa fille Romy
2014 Bridget Jones: folle de lui.


Helen Fielding «Twitter m’a envahie, j’avoue!»

Revenue à Londres en 2009 après sa séparation d’avec Kevin Curran, scénariste et producteur de la série télé «Les Simpson» et père de ses deux enfants de 10 et 8 ans, Dashiell et Romy, l’ancienne journaliste, âgée de 56 ans, était lundi à Paris pour le prélancement de son livre, à paraître le 2 octobre.

Pourquoi faire revenir Bridget?

Ce n’était pas mon intention. J’ai commencé à raconter l’histoire de cette femme d’aujourd’hui, et je me suis rendu compte que c’était la voix de Bridget.

C’est-à-dire?

Ce fossé inimitable entre ses ambitions et la réalité, cet optimisme débridé et ce catastrophisme permanent en même temps... Bridget a un caractère unique, attachant, qui me parle beaucoup. Et apparemment aux lecteurs aussi!

Justement, comment expliquez-vous qu’elle soit devenue cette icône planétaire?

Ce n’est pas arrivé du jour au lendemain: il a fallu l’édition poche, le premier film, pour que l’engouement soit général. Mais je pense que Bridget met le doigt sur un paradoxe très profondément ancré dans chacun de nous, qui est le contraste entre ce que nous voudrions être, ce que l’on nous demande d’être et ce que nous sommes vraiment. Et comme il ne faut jamais sous-estimer le pouvoir d’une bonne histoire, en m’inspirant clairement d’Orgueil et préjugés de Jane Austen, j’ai mis toutes les chances du côté de Bridget!

Y a-t-il toujours beaucoup de vous dans Bridget?

J’ai pris l’habitude de répondre à cette question en disant que, contrairement à elle, je ne fume pas, je ne bois pas et je suis vierge… (Rire.) Ce qui est certain, c’est qu’en écrivant je n’ai pas cessé d’être une journaliste qui observe, et que Bridget a ce don également.

Bridget découvre les joies du tweet dans ce troisième livre. Et vous?

Twitter m’a envahie, littéralement, je dois avouer! J’ai été obsédée par mes followers, je racontais tout à tort et à travers. Twitter n’est pas bon pour moi! Je l’utilise désormais avec précaution.

Est-il plus facile d’être célibataire aujourd’hui qu’avant l’apparition de ces outils que sont les réseaux sociaux?

Le monde change et c’est tant mieux. Mais le monde des réseaux est cruel, brutal. L’importance des apparences et de la mise en scène peut désécuriser les plus sensibles. La société de production Working Title a déjà acheté les droits de ce 3e tome pour 3,5 millions d’euros, et les rumeurs disent Hugh Grant et Colin Firth partants. Reste Renée Zellweger… Quelles nouvelles? Tout est en discussion!

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