La tension actuelle avec la Russie de Vladimir Poutine rend difficile l’organisation en Suisse d’expositions décentes sur les artistes de ce pays. Les politiques ont peur, les mécènes encore plus. Malgré la défection d’un sponsor important, mais avec le soutien de sa ville, le Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds n’a pas hésité à montrer l’œuvre critique du collectif moscovite AES+F. Formé par deux architectes, un graphiste et un photographe devenus artistes, AES+F s’exprime par la peinture numérique, la sculpture kitsch et surtout la vidéo. Montrées à la Biennale de Venise ou dans les grandes capitales, mais peu en Suisse jusqu’ici, les animations du groupe tirent parti du procédé du «stop motion» photographique pour construire de fascinantes allégories de la société de consommation. S’appuyant sur de multiples références mythologiques, bibliques, artistiques (l’art de la Renaissance ou le cinéma de Kubrick), les vidéos s’offrent comme de grands spectacles immersifs, multiécrans et plastiquement somptueux. Evoquant les mirages du monde virtuel des adolescents, le paradis et le purgatoire, ces fresques animées questionnent les valeurs scintillantes de notre monde globalisé. Leur imagerie sulpicienne et néomaniériste diffuse un entêtant parfum de fin de l’idéologie, de la morale et de l’histoire. Le propos pourrait ne pas avoir de frontières et être simplement occidental. Il a pourtant un accent russe dans son goût de l’ornementation, sa passion de la musique classique, sa culture encyclopédique. Et son emploi, par le biais d’un collectif multidisciplinaire, d’un art pensé comme une contre-propagande à la quête de la puissance et du lucre, suivez notre regard. Bref, nous n’avons jamais autant besoin des artistes qu’en cas de crise, d’où qu’elle vienne.
AES +F. Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds.
Jusqu’au 28 septembre. www.mbac.ch