Littérature. Le romancier russe a suivi l’exemple de ses compatriotes Tolstoï et Gogol: il a séjourné sept mois à Vevey. Il n’a pas aimé.
«Suisse, Vevey (lac de Genève),à M. Dostoïevski, poste restante.»
Avril 1868, le romancier quitte Genève à bord d’un bateau à vapeur et navigue quatre heures avant d’atteindre Vevey. Il n’est pas mécontent de partir. D’abord parce que, à Genève, il a perdu sa fille Sofia, décédée à l’âge de 3 mois d’une fluxion de poitrine. Ensuite parce que… «Tout ici est triste, lugubre. Et quels fanfarons suffisants! Etre si satisfait de tout est l’indice d’une bêtise particulière. Tout ici est mauvais, cher, pourri. Tout le monde est ivre!», écrit-il au poète russe Apollon Maïkov en octobre 1867.
Dostoïevski met beaucoup d’espoir dans son emménagement à Vevey. «Nous serons comme à la campagne, à la datcha […] L’endroit est protégé de toutes parts par les montagnes. Le site est réputé dans le monde entier: c’est l’un des plus pittoresques du globe.» C’est l’époque où les touristes découvrent la Riviera vaudoise. L’Hôtel des Trois-Couronnes ouvre en 1842. Le premier train s’arrête à Vevey en 1861.
États d’âme
L’écrivain et sa femme habitent un petit appartement à La Mercière, une ancienne maison vigneronne rachetée par un négociant en vins. Aujourd’hui, rue du Simplon 13, une plaque indique que Dostoïev-ski «vécut et travailla dans cette maison».
En réalité, il travaille plus qu’il ne vit. Il vient de tout perdre au casino de Saxon-les-Bains et doit encore 5060 roubles à la revue Le Messager russe, qui lui achète, par feuilleton, les chapitres de son prochain livre. Si ce dernier n’est pas bon, ou pas fini à temps, il n’aura pas de quoi rentrer en Russie, et l’exil lui pèse. «J’ai très peur pour mon roman et je suis presque absolument convaincu qu’il ne sera pas réussi.» Ce roman, c’est L’idiot, son chef-d’œuvre.
A Vevey, Dostoïevski écrit, toute la journée, et console sa femme qui pleure sa fille, toute la nuit. Il ne s’autorise qu’une pause quotidienne de deux heures et demie pour lire des journaux russes dans les cafés.
La ville est alors le reflet de ses états d’âme. Une lassitude devenue paranoïa: «Vevey irrite les nerfs, ce que j’ignorais, et que, au demeurant, savent tous les docteurs du monde.» Pas moyen de se baigner: «De l’avis des docteurs, l’eau du lac affaiblit l’organisme.» Vevey n’offre qu’une bibliothèque et une librairie, ni musée ni galerie. Et l’église orthodoxe russe ne sera bâtie qu’en 1874. Quant aux habitants…
«Oh, si vous aviez idée de la malhonnêteté, de la bassesse, de l’incroyable stupidité et arriération des Suisses! Bien sûr, les Allemands sont pires, mais ceux-ci ne sont pas mal non plus! L’étranger, ils le considèrent comme une source de revenu; ils n’ont qu’une idée en tête: le duper et le dépouiller. Le pire pourtant, c’est leur saleté! Un Kirghize, dans sa yourte, vit moins malproprement», confie-t-il au poète Maïkov en juillet 1868.
Etonnant. A l’heure où l’Europe entière s’émerveille de la Riviera, de Lavaux et des Alpes, le plus grand romancier russe du moment n’y trouve qu’ennui et bassesse.
Sa correspondance offre peut-être une clé: «A l’étranger, il est bien de faire, en passant, la tournée des grandes villes et des bons lieux, mais il est pénible d’y vivre vraiment.»
À voir
Vevey
Hôtel des Trois-Couronnes
Si votre budget ne vous permet pas de réserver la suite Tchaïkovski de cet hôtel cinq étoiles, passez une demi-journée dans son Puressens Spa ou commandez un petit blanc sec sur sa terrasse, au bord du lac.
Rue d’Italie 49
www.hoteltroiscouronnes.ch
Vevey
Pizzeria Vecchia Napoli
Vous poussez la porte, vous êtes à Naples. Ce petit restaurant familial situé derrière la gare offre une déco typique, une TV pour les matchs, de bons vins du sud de l’Italie et les meilleures pizzas de la ville.
Rue des Bosquets 11
021 921 63 07
Vevey
Musée Jenisch
Exposition autour de l’œuvre de l’artiste contemporain bernois Markus Raetz. Une exploration de la perception, mise en scène avec humour, pour comprendre que la réalité dépend du point de vue que l’on adopte…
Avenue de la Gare 2
www.museejenisch.ch
Fedor Dostoïevski
Dostoïevski (1821-1881) est l’un des plus grands écrivains russes. Sous-officier déporté au bagne à 29 ans, il démissionne de l’armée et se lance dans l’écriture. En 1862, il part en Europe.
A son retour en Russie, en 1871, ses œuvres lui offrent la reconnaissance.
