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Paulo Coelho nous balade dans la Genève de son nouvel «Adultère»

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Jeudi, 15 Mai, 2014 - 05:59

Reportage. Le Brésilien Paulo Coelho situe à Genève, où il habite depuis huit ans, l’action de son nouveau roman, «Adultère». Pour «L’Hebdo», l’auteur vivant le plus lu dans le monde s’est exceptionnellement prêté au jeu du reportage sur les lieux du roman.

Textes Isabelle Falconnier
Photos Reto Albertalli

La serveuse du restaurant de l’Hôtel des Armures le reconnaît tout de suite. «Vous avez posé avec moi, la photo est accrochée dans le carnotzet en bas!» Le patron, Michel Paternotte, lui sert la main. «Une photo? Bien sûr!» Paulo Coelho a situé dans ce restaurant de la Vieille-Ville de Genève une des scènes clés de son nouveau roman, Adultère. On y voit son héroïne Linda et son mari manger avec un politicien en vue, tout juste élu conseiller d’Etat, et son épouse, qui soupçonne, à juste titre, Linda de coucher avec lui. «La fondue est excellente, les employés s’efforcent de parler toutes les langues possibles. (…) Nous commandons comme toujours: fondue et raclette. Mon mari dit qu’il en a assez de manger du fromage et choisit un plat différent: un saucisson (…)», raconte Adultère. Tout est vrai: Coelho a fêté un des derniers anniversaires de sa femme, Christina, ici, et y emmène les visiteurs qui font le voyage. «J’aime ce lieu, c’est bon et sympathique.»

Genève a son citoyen modèle: il est étranger, riche, son domicile est tout sauf fictif, il réside rue Robert-de-Traz, auteur légendaire de L’esprit de Genève, et publie un roman, bientôt lu à des millions d’exemplaires dans le monde, qui non seulement se passe à Genève mais en dit du bien. Paulo Coelho s’est posé en 2006 dans le quartier de Florissant: d’abord un immeuble signé Le Corbusier qu’il a moyennement goûté, puis un appartement rue Le-Corbusier, puis rue Robert-de-Traz depuis l’an dernier. Venu en partie par crainte de voir les frontières de l’Europe se fermer depuis Paris où il résidait, il a aimé Genève, est resté. Depuis 2009, il ne la quitte quasi plus que pour le WEF, à Davos (il est membre de la Schwab Foundation for Social Entrepreneurship), et le Festival de Cannes pour sa dose d’agitation glamour, parfois la Foire du livre de Francfort.

30 millions de followers

Son éditeur français s’y est fait, et envoie les journalistes à Genève. RTL, Europe 1, Le Journal du Dimanche, tout le monde a défilé cette semaine. Nikos Aliagas est venu la veille et a posté des photos prises dans le salon de Coelho, très fier d’un des commentaires: «Il est aussi beau que ses mots!» «Tout le monde me demande: “Vous avez l’argent pour vivre n’importe où, pourquoi Genève?” Mais j’ai une relation d’amour avec Genève et la Suisse! Et pas à cause de l’argent. J’y habite vraiment. J’adore la ville, les gens, l’ambiance, la manière de vivre. Les gens ont un humour, une joie de vivre qu’on ne soupçonne pas. Je me sens à l’aise, je me sens chez moi. J’ai mon dentiste, mon médecin, mes amis.»

Il habite un beau duplex lumineux et épuré avec terrasse surplombant la ville. Canapés blancs, orchidées, des œuvres de sa femme, la peintre Christina Oiticica, sur les murs, un petit bureau tranquille avec une carte ancienne de la Suisse au-dessus de l’écran de l’ordinateur. Du personnel brésilien s’active en cuisine, sur le même palier habite son assistant, qui s’occupe aussi de sa maison des Pyrénées et de son appartement à Paris. «Je parle brésilien à la maison, du coup je ne fais pas de progrès en français…»

Ses journées commencent à 11 heures. Petit-déjeuner avec pain, café noir, huile d’olive, jus de citron, yogourt. Il se pose ensuite à l’ordinateur pour alimenter les réseaux sociaux, y passant entre une et quatre heures. «Je suis accro.» Il a 30 millions de followers sur Facebook et Twitter et fait tout pour rester à niveau. «C’est mon rendez-vous du matin, mon plaisir. J’ai été le plus heureux des hommes quand Twitter est né. Le fait que je le fasse moi-même en grande partie fait beaucoup pour mon succès.» Il ne fait plus de séances de dédicace, ne voyage plus pour la promotion de ses livres, mais a remplacé le tout par des interventions en direct sur Facebook ou Twitter. Selon Forbes, il est dans le trio de tête des personnes les plus influentes du web et il est classé 2e Brésilien le plus connu de l’histoire, derrière Pelé, du classement du MIT.

Vers 14 heures, il sort marcher ou prend sa voiture en direction de la campagne genevoise et fait plusieurs heures de balade, sans portable. «La marche est une partie importante de ma vie. Un jour sans marcher est un jour où je n’ai pas l’impression de vivre.» Avec sa femme, ils se sont donné comme objectif de découvrir plusieurs villages par semaine. Depuis le début de l’année, ils ont déjà visité plus de 100 villages, en Suisse ou à l’étranger. Le soir, il mange à la maison ou dans un japonais et libanais du côté du quai Gustave-Ador. Sa femme aime lui faire la surprise de ce qu’elle prépare. Il n’aime pas la cuisine française, adore le couscous. Après le repas, ils regardent un film puis il lit un moment sur Kindle ou iPad.

Coucher vers 3 heures du matin, après encore une heure de réseaux sociaux. «On croit que je suis très entouré ici, mais non.» A part une assistante à Genève qui lui prend ses rendez-vous personnels, il confie depuis 1994 la gestion de ses affaires éditoriales à son agent, Mônica Antunes, qui, à l’enseigne de Sant Jordi Asociados à Barcelone, gère les droits de traduction ou d’adaptation de Coelho dans les presque 200 pays concernés – en 2008, il est entré dans le Guinness des records dans la catégorie Auteur le plus traduit pour le même livre avec L’alchimiste.

Adultère, son nouveau roman, suit quelques mois de la vie d’une journaliste d’un quotidien genevois, ambitieuse, bien mariée, mère de deux enfants, qui s’enfonce peu à peu dans la dépression et croit trouver une solution en s’engageant dans une relation passionnelle avec un ancien camarade d’études devenu politicien en vue. La version portugaise du roman est sortie en avril, la traduction anglaise est prévue en août.

Blessure amoureuse

Réflexion «concernante» et réussie sur l’amour et le sens de la vie à deux, Adultère est parti d’une enquête personnelle de Coelho sur la dépression. «Je me suis rendu compte que 90% des gens qui se disent déprimés le sont à cause d’une blessure amoureuse.» Pour explorer le sujet, il s’inscrit sur des forums de discussion tantôt comme femme, tantôt comme homme, et découvre un monde souterrain «passionnant». En deux semaines, courant novembre, le livre est écrit. «Les femmes souffrent plus lors d’infidélités, car elles ont le cœur facilement blessé. Et si elles sont elles-mêmes infidèles, elles sont plus attaquées que les hommes. Mon livre ne juge pas. Ce que je raconte est fréquent. Nous avons toujours le choix, de se marier ou pas, d’être fidèle ou pas. Il est très difficile d’être marié si on ne comprend pas que son mariage évolue sans cesse.»

Il a situé l’action du livre à Genève parce qu’en y vivant il a eu envie d’écrire dessus. Le lecteur y découvre un lieu où «les vieilles maisons seigneuriales s’accrochent entre les immeubles construits par un maire fou qui découvrit la “nouvelle architecture” dans les années 1950», une «ville différente de toutes les autres qui se sont modernisées et ont perdu leur charme». Une ville «surnommée Audiland» où, raconte l’héroïne, «nous sommes heureux sans rien changer» bien que le mot «bonheur» y soit un tabou absolu. «Nous n’osons même pas demander aux autres la marque de leur voiture, alors comment pourrions-nous parler de quelque chose d’aussi intime que le bonheur?»

Adultère se balade dans les rues de Genève, mêlant incontournables touristiques et adresses insolites, n’hésitant pas à donner les rudiments du système politique cantonal autant que l’histoire du jet d’eau. On passe de Plainpalais – «Le seul point au centre de la ville où il n’y a pratiquement pas de végétation. En hiver, le froid transperce les os. En été, le soleil nous fait suer à grosses gouttes.» – au glacier italien du numéro 1 de la rue du 31-Décembre – «Je vais chez un glacier traditionnel au coin de la rue du 31-Décembre. J’aime bien le nom de cette rue, car il me rappelle toujours que, tôt ou tard, une autre année va se terminer, et que je ferai de nouvelles grandes promesses pour la suivante. Je demande une glace à la pistache et au chocolat.» – en passant par la cathédrale – «Nous passons devant la cathédrale. Une brume couvre de nouveau la ville et on se croirait dans un film d’horreur.» – ou le mur des Réformateurs – «Si cet homme au milieu était né de nos jours, tous l’appelleraient terroriste. Ses tactiques pour implanter ce qu’il imaginait être la vérité suprême me le font associer à l’esprit perverti d’Oussama Ben Laden. (…) Jean Calvin est son nom et Genève a été son champ d’opération.»

L’église que fréquente Coelho, redevenu catholique après son pèlerinage à Compostelle, c’est l’église Sainte-Thérèse, près du parc Bertrand, dont il aime la sobriété toute protestante. «Rien ne vient distraire du mouvement spirituel.» La question la plus stupide qu’on lui ait posée? «Comment un homme si riche peut-il s’intéresser autant à la spiritualité?» Il reconnaît que comparer Calvin à Ben Laden est «exagéré et provoquant». «Mais Calvin est pour le moins controversé et ambigu!»

On croise encore dans Adultère le restaurant La Perle du Lac – «Un restaurant (…) qui a été extraordinaire (…), qui est toujours cher bien que la nourriture soit très mauvaise.» – le passage souterrain du pont du Mont-Blanc et ses dealers, la télévision Léman Bleu ou la Tribune de Genève. Le seul Genevois réel cité est Darius Rochebin: on y voit l’héroïne se rendre à la réception des 10 ans de Pardonnez-moi, présenté par le «beau, intelligent et photogénique» Darius Rochebin, réception où Coelho était effectivement présent il y a deux ans. Amoureux de Genève donc, mais il garde son passeport brésilien. «Je suis Brésilien et fier de l’être. Je ne me sens à la maison qu’à Rio et à Genève. Je garderai toujours mon passeport brésilien.» Depuis le 30 avril est inscrite au registre du commerce genevois la Fondation Paulo Coelho. Il a décidé de rassembler à Genève toutes ses archives: souvenirs, photos, manuscrits, prix et objets personnels de ses années dans la musique, le théâtre ou le mouvement contestataire hippie. Un conteneur arrive cette semaine même du Brésil.

Majuscule et minuscule

Il y a, à la fin d’Adultère, une scène où la narratrice fait un saut en parapente au-dessus d’Interlaken et vit un moment d’épiphanie rare, renaissance après des mois de bouleversements intimes. Ces moments «qui peuvent changer une vie, de détachement et de compréhension absolue où l’on se sent à la fois majuscule et minuscule, l’univers et un grain de sable», Coelho en a vécu «une dizaine» dans le désert, sur les montagnes, sur le chemin de Saint-Jacques ou au camp de concentration de Dachau. Hiver 1982: il visite le camp lorsqu’il a une vision. Un homme lui apparaît, lui disant qu’ils vont se rencontrer. Trois mois après, il tombe sur cet homme dans un café à Amsterdam. C’est lui qui le poussera sur le chemin de Compostelle, à une période où personne ne le faisait, l’initie au langage symbolique.

Coelho aussi était à Interlaken avec sa femme l’été dernier. Ils regardaient les parapentes descendre du ciel. Le spectacle était si beau qu’il lance à Christina: «Allons-y!» Elle dit: «Je ne veux pas mourir célibataire!» Lui répond: «OK, marions-nous.» Finalement, ils ne sautent pas en parapente mais se marient en novembre, trente-trois ans après leur union religieuse (devant un pasteur méthodiste, c’était le quatrième mariage de Coelho), à l’état civil des Eaux-Vives. Pas d’invités, seulement les témoins. Il espère bien qu’un jour il finira par sauter en parapente.

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